James Delleck "Le cri du papillon"

On peut dire qu'on l'attendait celui-là ! Annoncé depuis la sortie d'"Acouphène" en 2002, le premier album solo de James Delleck, souvent annoncé, toujours repoussé, sort enfin 5 ans plus tard.

Après, on ne peut pas non plus taxer James Delleck de beaucoup chômer car pendant ce laps de temps sa discographie s'est considérablement étoffée avec l'album de l'Atelier, Gravité Zéro et Gravité Zéro RMX avec Le Jouage ou encore plus récemment le premier album du Klub des 7.

L'attente était d'autant plus longue pour moi que James Delleck est, à mon avis, un des meilleurs MC français. J'attendais donc beaucoup de cet album tout en craignant d'être amèrement déçu comme c'est souvent le cas lorsqu'on attend trop d'un disque. Mais tout arrive "tôt Ou tard" comme le label de James. Et après quelques temps de recherche le CD tant attendu se retrouva entre mes mains, puis sur ma platine et y tourna longtemps, longtemps, longtemps, parce que je l'ai adoré et qu'il a dépassé de loin toutes mes espérances. La chronique qui suit est le fruit de la plus profonde admiration pour cette album qui est à mon avis le meilleur album de rap français depuis longtemps, ça risque d'être pas mal subjectif, ne soyez pas surpris. Et ne soyez pas surpris après l'écoute de cet album de trouver brusquement pas si bon que ça les prestations du MC chevelu sur ses anciens projets présentés ci-dessus, alors qu'auparavant vous trouviez que c'était des pures bombes. En tout cas c'est l'effet que ça m'a fait.

Tout commence par un morceau instrumental "Chrysalide". Un des rares défauts que je trouve à James Delleck c'est de faire plein de morceaux instrumentaux très bons mais souvent trop longs à mon goût. Mais là c'est parfait, que ce soit "Chrysalide", "La carotte sauvage" ou encore le titre caché, ils sont justes assez long pour pouvoir apprécier l'énorme talent de M. delleck et juste assez courts pour ne pas lasser.
Tant qu'on en est à parler des titres instrumentaux autant parler des instrumentaux eux-mêmes. Elles sont toutes signées par James Delleck, sauf "Le réverbère" co-signé par Azul et "J'ai appris" co-signé par Vincent Segal. Grâce à elles nous pouvons entrer dans le monde éclectique de James Delleck qui nous offre autant d'instrus que de bijoux. Chacun s'adapte parfaitement au texte qu'elle supporte, exprimant ce que les mots ne peuvent dire. Parfois mélodiques ("Le réverbère", "15 ans"), parfois dansantes ("Titty Twister"), parfois énergiques ("L'étranger"). Comme d'habitude avec le MC chevelu les sons sont très marqués électro, mais elles sont ici appuyées par des instruments organiques, donnant la chaleur et la vie qui manque souvent aux sons digitaux.

J'entends déjà des voies distordantes et méchantes dire : "OK, OK, Achim, on a bien vu que tu voulais l'encenser à fond ce disque, à croire que Delleck t'a filé des sous, mais c'est facile en se basant sur les instrus qui sont, comme chacun sait, les points forts de James Delleck. Mais si on parle flow hein, et bien direct c'est moins brillant et toi paf, t'as plus rien à dire et tu te tais parce que t'es fin bête mec !" Je dois être assez honnête pour reconnaître que question flow James Delleck n'est le plus technique des MC. D'ailleurs, s'il fallait trouvé un défaut à l'album, le seul que je trouverai serai l'abondance des assonances en "s" qui ne collent pas trop avec la voix de Delleck. Mais (et oui vous ne m'aurez pas avec vos arguments fallacieux) son flow est très bon quand même. J'avoue ça paraît super subjectif ce que je viens de dire, aussi je vais expliciter mes propos. D'abord j'aime la voix chaude et grave de Delleck. OK, c'est toujours super subjectif. Deuxièmement, même s'il n'est pas super technique James sait moduler sa voix et son flow en rapport à l'ambiance et à la vitesse du morceau, ainsi il est très lent et doux sur "Sonate pour une gouttelette" et très rapide sur "Ainsi soit-il". Et urtout, le gros point positif de son flow est que chaque parole est bien articulée et chaque mot utilisé est compréhensible dès la première écoute.

Justement, venons-en aux textes maintenant. le reproche qui est souvent fait - à juste titre - au Hip Hop dit "alternatif" est d'avoir des textes hermétiques au premier abord au pauvre hère se risquant sur ces chemins musicaux déviants. Un pauvre hère qui, soyons-en sûr, n'est pas prêt de retourner sur ces plate-bandes pourtant riches de talents et d'excellence. il y a aussi ces gens orgueilleux et stupides - ma remarque va plus lon que le Hip hop et tout l'arche contemporain en général - qui, vides de talent et d'idée, pondent un truc ridicule sans queue ni tête, expliquant que le sens en est trop profond pour l'homme du commun ignorant à l'esprit limité, eux-mêmes persuadés d'être des êtres supérieurs tellement au-dessus du reste de l'humanité par leur "classe" et leur "art" bête et sans but tout juste bon à être piétinés par des éléphants fachés qu'on leur vole leurs défenses pour décorer les palais payés par les oeuvres bidons de ces êtres aux idéaux néo-fascistes basés sur la suprématie de certains êtres non par leur race mais par leur "intelligence" où je ne sais quoi d'autres; idées dangereuses s'il en est, que je méprise mais je sais bien que mon avis a autant de poids que la mort d'un enfant tchétchéne sous les un char russe et en plus je me suis drôlement éloigné du sujet. Ainsi donc, James delleck a-t-il réussi à surmonter ce problème-là ? mais bien sûr ! C'est james Delleck ! Il réussit tout bien lui. C'est un peu Superman en MC ce mec.
Car oui, chaque texte est bel et bien un trésor. Chaque rime a été pensée, balancée, machinée afin d'amener la langue française à son essence même. Enfin, ce que je veux dire c'est que tout est compréhensible, en une écoute on voit de quoi il parle, où il veut en venir ...etc... Mais la véritable richesse est qu'il y a des tonnes de niveaux de lecture, chaque texte peut recevoir diverses interprétations. james ne dit jamais tout, nous laissant la possibilité d'aller plus loin à la recherche de ce qu'il veut dire. par exemple "Personne". A la première écoute j'ai pensé que c'était un délire mystique de Delleck où il pointe du doigt notre société nombriliste et matérialiste. Une autre fois j'y ai vu l'histoire d'un homme ayant l'impression d'être invisible dans la foule grouillante du métro, chacun se préoccupant de leurs propres nombrils et lui perdu dans son propre néant. Et tout à l'heure l'écoutant de nouveau j'y ai vu l'histoire d'un clochard, reclu de la société et oublié dans une station de métro. Et à chaque écoute on y voir beaucoup d'autres choses. Laquelle de ces interprétations est correcte ? Je crois qu'elles le sont toutes, c'est notre sensibilité qui fera la différence.

Les thèmes sont variés, on a droit aux goûts de James sur "Le profil psychologique", les sombres pensées d'un réverbère sur "Le réverbère", les rêves d'un prolo gagnant au Millionnaire avec "Gérard de Roubaix", la position déviante de James face au hip Hop et la vie sur "L'étranger", un adolescent mal-aimé avec "15 ans", la vie et la mort d'une goutte sur "sonate pour une gouttelette" ou encore la fuite du temps et de l'enfance avec "J'ai appris".

Donc voilà les ingédients de ce "Cri du papillon" : un bon flow, de belles instrus et des textes magnifiques. Qu'est-ce qu'il se passe quand on mélange ? Non pas de la pisse de païen mais un disque qui dépasse les qualificatifs élogieux que je pourrai énumérer ici. Chaque élément se superpose parfaitement avec les autres et lorsqu'on ferme les yeux on peut voir ce dont parle James Delleck. Je vous le dis, ce mec est un génie.

Je ne peux pas ne pas citer "15 ans", à mon avis le meilleur titre de l'album où on nous conte le mal-être d'un jeune de 15 ans face à une mère absentéiste. L'instrumental est d'une rare beauté, James rappe tout le premier couplet sans beat, celui-ci n'arrivant qu'au deuxième couplet couronnant un morceau en crescendo. Vraiment magnifique, à chaque écoute ça me fait le même effet et me donne les larmes aux yeux.

Chaque titre à sa propre atmosphère, tantôt comique ("Gérard de Roubaix"), tantôt torturée ("Personne"), tantôt trsite ("Le réverbère"), et chacun a ainsi une très forte identité mais malgré tout l'album a une rare cohérence. On est ici dans le monde Delleck, un monde éclectique qui a pour but de détruire les limites de nos pensées. On nous offre 14 perles serties dans un diadème précieux couronnant le front de la déesse du Hip Hop (déviant, évidemment).



Note : 20/20

Tracklisting :

01/ Chrysalide
02/ Chaman
03/ Le profil psychologique
04/ Le réverbère
05/ Gérard de Roubaix
06/ L'amour
07/ L'étranger
08/ 15 ans
09/ La carotte sauvage
10/ Titty Twister
11/ Sonate pour une gouttelette
12/ Personne
13/ Ainsi soit-il
14/ J'ai appris





(p) & (c) Achim Shark 2008
artwork par Contre&Façon

http://www.jamesdelleck.com
http://www.myspace.com/delleck

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