Même pas morts (Edito Rapa #80)

Comme chaque année l'été est étouffant en ce 11 août 1973 et le lourd soleil new-yorkais fait fondre le bitume du Bronx. Clive jette un oeil hors de ses draps et confirme son idée première : lézarder dans son lit toute la journée est la meilleure chose qu'il puisse faire aujourd'hui. Mais... Mais aujourd'hui c'est le 11 août et comme chaque année c'est l'anniversaire de sa soeur Cindy et comme chaque année ça n'arrive qu'une fois, ce qui est bien dommage. Allez, pour elle je peux bien faire un effort se dit-il en s'extirpant difficilement de son cocon pour se traîner jusqu'à la douche du petit appartement de ses parents au 1250 Sedgwick Avenue. Sous la douche, la lucidité revient peu à peu à mesure que l'eau coule sur sa peau. Il frotte frénétiquement là où des taches de peintures ont élu domicile depuis sa dernière virée graffiti avec son crew. Se faisant il réfléchit à ce qu'il voulait tester sur le sound-system de papa pour la fête de Cindy. Il va transformer le Bronx en un sound-system funky et tant pis s'il se prend une tannée par son père parce qu'il a encore touché les platines, il sent que ça va être l'anniversaire le plus cool qu'il puisse offrir à sa soeur et tous ceux qui viendront. Malgré le bruit de la douche il entend le bruit étouffé d'une arme à feu quelque part dans le quartier et il espère qu'aucun de ces gangsters craignos ne viendront gâcher la fête. Par contre si des danseurs viennent il pourra affiner sa technique du « Merry-go-round » et cette pensée le fait sourire. Saletés de taches de peintures, elles sont encore là !

Comme chaque année l'été est pluvieux en ce 10 juillet 2001 et la joyeuse pluie des Sables d'Olonne frappe avec insistance contre le toit. Antoine jette un oeil hors de ses draps et confirme son idée première : lézarder dans son lit toute la journée est la meilleure chose qu'il puisse faire aujourd'hui. Mais... Mais il n'y a pas de mais aujourd'hui, la pluie a de toutes façons éloigné définitivement toute jeune et jolie fille de toutes les plages du département, ce qui est bien dommage. Allez, je peux quand même mettre en ligne le site Hip Hop que j'ai commencé au printemps de toutes façons je n'ai rien de mieux à faire se dit-il en s'extirpant difficilement de son cocon pour se trainer jusqu'à son PC. La lumière brutale de l'écran lui déchire les yeux et achève de le réveiller. Encore des tas de spams dans ses messages qu'il entreprend de supprimer. Se faisant il réfléchit à ce qu'il voulait faire avec son site. Il le sait, les sites Hip Hop sont aussi obtus que le rap français, il va élargir le cadre et sortir son épingle du jeu en abattant ses cartes dès le premier édito et tant pis s'il se prend une tannée par sa mère parce qu'il a encore explosé la facture de téléphone. Il sent que ça va être le webzine le plus cool qu'il puisse présenter à Chris qui ne cesse de le saouler pour qu'il finalise son projet et à tous qui s'aventureront sur son site. Au détour d'un forum il voit un message smsisé à l'extrême et il espère qu'aucune de ces pseudo-racailles craignos ne viennent gâcher son monde. Par contre si des gens motivés viennent il pourra accroître le nombre de chroniques et cette pensée le fait sourire. Saletés de spams, il y en a encore des tas !

Deux anecdotes apparemment sans conséquences et sans intérêt et pourtant... Le 11 août 1973 en sortant de chez lui Clive endossa le costume de DJ Kool Herc et fit la première block party. Celle-ci en engendra d'autres, autour du DJ se regroupèrent les b-boys graffeurs et MCs balbutiants et le Hip Hop se construisit. Le 10 juillet 2001 devant son écran Antoine devint Jeckill et fonda Jeckill's World. Ce site attira des curieux, autour de Jeck se regroupèrent XQlusif, Mista Bega, THom4s, Lady Psycho et d'autres et Rapanization se construisit.

Je ne cherche pas à faire une hagiographie de Jeckill et Kool Herc, je crois que s'ils n'avaient pas fait ce qu'ils firent d'autres l'aurait fait d'une manière ou d'une autre. Néanmoins, si je suis là aujourd'hui à écrire tout ça c'est parce que le Hip Hop a croisé ma vie à la vitesse d'un météore et y a tout chamboulé et que Rapa m'est apparu au détour d'un clic et m'a fait découvrir plein de choses.

C'est amusant comme sont les choses. En 79 est sorti le premier disque de rap et l'année d'après la mort du Hip Hop était annoncée. Rapa semble très souvent plus mort que vivant. Et pourtant... Même pas morts ! Aujourd'hui en 2009 les deux sont bien vivants et en ce qui concerne le Hip Hop, peut-être plus que jamais. Le rap c'était mieux avant ? Plutôt ce qu'on écoute d'avant aujourd'hui, je crois que personne ne rêve d'un nouveau Benny B ! La nostalgie d'un « âge d'or » passé est commune à toutes les cultures, ce ne doit pas devenir un prétexte pour devenir un vieil aigri. Car oui, aujourd'hui il y a énormément de mauvais rap qui polluent le net et les ondes mais il y en a énormément de bon aussi, d'un accès plus facile que jamais. Ceux qui font avancer le Hip Hop sont ceux qui regardent en avant en se souvenant de leurs racines, non ceux qui tournent le dos à l'avenir pour se blottir dans un passé fantasmé et alambiqué. Le rap c'était mieux avant ? Non, ce sera mieux demain !

Alors parce que nous on est des fous c'est l'esprit qu'on essaie de maintenir à travers Rapa. Esprit initié par Jeck ce jour faste où il mit le futur Rapanization en ligne en faisant de l'ouverture d'esprit une des clefs de voûte du site avec la bonne mentalité en général. Les temps changent, Rapa aussi et même si par moment on est tous des vieux cons qui n'aiment rien on continue de faire avancer le site en tentant de garder l'originalité et la fraîcheur qui le caractérise. Evidemment on le fait à notre rythme qui n'est pas celui d'un stakhanoviste (loin s'en faut) à travers des rapapodcasts, des chros express ou non et surtout des discussions sans queues ni têtes (un peu comme cet édito, oui, oui je sais) sur le RapaBook. Si si la faucille, sur Rapa on est prêts pour l'avenir !




(p)&(c) Achim Shark 2009
image tirée des Haterz par Truk

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