Blaq Poet « Tha Blaqprint »

« Ain’t nothing changed except the weather »

Parfois je me dis qu’il serait intéressant d’étudier le lien entre le climat et la musique de l’endroit. En effet, lorsque « The Chronic » , « Regulate » ou même « Eazy-duz-it » se pose sur une platine, le soleil californien s’échappe des sillons du disque et lorsque « Tha Blaqprint » du new-yorkais Blaq Poet parvient à nos oreilles la chaleur lourde et moite des rues du Queens Bridge s’insinue elle aussi dans la pièce, le ciel devient menaçant, l’orage n’est plus très loin, on le sent gronder, se confondant avec le ronflement de la guitare électrique du « I-gitttin » ouvrant l’opus. L’air devient rare, l’atmosphère lourde, une goutte de sueur glisse le long du dos. Le seul espoir maintenant est que le ciel se déchire, que la pluie tombe, arrose le bitume chaud et que son odeur nous enivre. Mais cela arrivera-t-il ?

« Millionaires rappers still envy me, they wish they are mini-me, I’m sick on any beat ! »

Blaq Poet est loin d’être un nouveau venu dans le monde rapologique de la grande pomme, le natif du Queens fit parler de lui dès 1986 lorsqu’il fut le seul à oser répondre au « The Bridge is over » , violente attaque contre les rappeurs du Queens proclamant la supériorité du Bronx par l’intouchable (à l’époque) KRS One. Artisan de l’underground, le poète fonda le groupe Screw Ballz, avec trois albums du crew à la clef. En 2006, il se lance en solo avec un premier album « Déjà screw » chez 45 Scientific (ceux-là mêmes qui survivent grâce à leurs rééditions du « Mauvais oeil » des Lunatic). Malheureusement, ledit album passa totalement inaperçu. Quatre ans plus tard, Blaq Poet revient plus remonté que jamais sur un nouveau label Year round, fondé par DJ Premier, rien que ça.

DJ Premier, producteur légendaire s’il en est, est donc aux manettes, à l’exception de « U phucc’d up » produit par Easy Mo Bee et « Sichuwayshunz » produit par Gemcrates. La quasi-omniprésence de Premier est un signe de qualité certain, lorsque l’on se rappelle le nombre impressionnant d’albums labellisés « classiques » dont il fut concepteur sonore, et cette réputation ne trompe pas. On a donc droit a des instrus de haut niveau avec les excellents « I-gitttin » et son instru rock, « Ain’t nuttin changed », « Hood crazy », « Voices » ou encore « Never goodbye » pour les plus marquantes. Des fat beats, des scratches, des beaux samples, que demander de plus ? Le niveau est donc très haut mais tout n’est pas pour autant parfait, particulièrement avec les faibles « What’s the deal ? » (qui sonne comme une mauvaise resucée du « Mass Appeal » de Gang Starr) et « Legendary ». L’inconnu (du moins pour moi) Gemcrates nous offre une des meilleures instrus avec l’excellent « Sichuwayshunz ». Parallèlement Easy Mo Bee s’en tire mais sans plus avec une production à la limite entre minimalisme et simplisme avec « U phucc’d up » (déjà présent sur Rewind déjà Screw). KL, feu membre du feu groupe Screw Ballz y est ressuscité et le niveau des MC’s relève largement le niveau.

Par contre les autres invités du micro déçoivent amèrement, alors qu’ils auraient pu offrir une alternative agréable au flow de Blaq Poet et de sa voix cassée parfois lassante. Seul N.O.R.E. se montre au niveau de son hôte pour le très bon « Hate » aux cuts efficaces alors que même la moitié des MOP Lil Fame déçoit sur « Rap addiction ».

« The hood is crazy, straight like that, got the cops running around with yellow tapes like rats »

Ecouter Blaq Poet, c’est écouter les certitudes, les doutes, la vie et la violence du ghetto, ce que DJ Premier réussit parfaitement à retranscrire musicalement. Les beats sont lourds et oppressants, les samples omniprésents, réaffirmant la signature musicale de l’underground new yorkais. On a donc droit à pas mal de claviers, de samples souls sombres et de scratches (ce qui se fait de plus en plus rare, autant en profiter). Néanmoins, malgré cette ambiance surplombant tout l’album Primo ne lasse pas, variant habilement ses influences, donnant un rendu toujours brut et rue, jamais redondant. Il s’offre même le luxe d’une fausse instru club avec « Stretch marks and cigarette burns », réussissant également le tour de force d’introduire parfaitement l’ambiance de l’album avec « I-gitttin » alors que musicalement, c’est à des encablures du reste de l’album.

Si les instrus emmènent la chaleur moite des rues new yorkaises, le flow du MC a dans ses valises l’orage et la lourdeur du Queens estival, sans espoir ni oxygène. Blaq Poet vient du gouffre et cela se ressent jusque dans son flow et sa diction, à chaque rime, il mord l’instru et ne lâche prise que lorsqu’il atteint l’os. Ce style a priori monolithique pourrait être la grande faiblesse de l’album, heureusement Black Po’, tout en gardant un phrasé d’écorché-vif arrive à faire évoluer son flow avec différentes ambiances, tour-à-tour pêchu (« Ain’t nuttin changed »), lent (« Never goodbye »), torturé (« Voices ») ou posé (« Sichuwayshunz »), le Poet assure.

La dureté des rues de QB (« S.O.S. », « Same Old Shit ») est présente dans tous les recoins de l’album, ambiance oppressante prenant aux tripes, tant par les instrus, le flow et bien sûr les textes. Malgré un côté street credibility (« A real gangster is good in any hood/A real goon coming soon to your hood »), Blaq Poet se refuse d’offrir la vision glamour du ghetto qu’aiment à donner beaucoup de gangsta rappeurs, il nous présente la réalité du ghetto dans sa brutalité, sa dureté et ses aberrations « ‘Can’t Stop Won’t Stop’, that’s a movie pricks/This is life in the hood, no movie shit ». Mais parler de la rue n’est qu’une des manières pour Blaq Po de parler de lui, avec pudeur mais sincérité, nous dévoilant une personnalité complexe avec toutes les contradictions d’un homme. Ainsi il nous offre des ghettos anthems comme « Let the guns blow », « Ain’t nuttin changed » ou « Don’t give a fuccc » mais dans le même temps dans « Hood crazy » il tente d’éloigner un jeune du bizness (« ‘You want to be gangster and get what gangsters get ? Look in a mirror nigger : you’re not 50 Cent. Don’t be a fool, stay in school, don’t took drugs’. Little nigger lookin’ at me like ‘You Po’ ? How can you tell me what to do ? I learnt this shit at lookin’ at the window at you !’ I say ‘Ahh’ at that moment my heart turn black, look him in the eyes and tell him ‘You can’t turn back. You’re now MTM : Married To the Mob, at any time in the street, no Money To your Mom. Don’t be a baby and remember whan I told you the hood was fuckin’ crazy. »

« Beside that, Blaq Poet, a lovely guy. »

Malgré son nom, le new yorkais est loin d’être a meilleure plume de sa génération et malgré quelques phases bien trouvées la lassitude commence à venir au bout des 6 premiers titres d’entendre à chaque rime « hood », « nigger », « New York », « bitch » et consorts. Mais, un peu comme pour le Rat Luciano, sa sincérité vient sauver les manquements de sa plume. Pas besoin de rimes multi syllabiques à chaque vers, de punchline à chaque mesure pour toucher, l’instru, le flow, la sincérité font du bon boulot. Souvent ses couplets ne sont que le récit de petites anecdotes qui sous ses mots simples deviennent vivantes (comme sur « Hood crazy » au-dessus, vous vous rappelez ?). Il en profite pleinement sur le superbe exercice de style « Sichuwayshunz », où il s’insinue dans l’esprit de trois personnes (un voleur, un truand et un clochard). Ces trois tentent de sortir de leur état mais la rue les rattrape. Un titre juste « I’m mentally unfit, but who gives a shit ? Not the government, not the president. The only time people care, it’s on the holyday. Leave me alone and just let me go my way. And be happy that you ain’t me. Some people are scared, some other hate me. »

Résumer Black Poet à la description de la ghetto life serait très réducteur, il en est un reflet car il en est issu mais ses thèmes ne s’y arrêtent pas nécessairement. C’est aussi un amoureux passionné du Hip Hop et du rap depuis plus de 20 ans, et son amour de la musique se ressent souvent, sur le plaisir évident à kicker le beat sur « Hate », son couplet sur « Rap addiction » (le titre parle de lui-même) ou sur l’étrange hommage aux MC’s trépassés sur le génial « Voices ». Sur ce titre, alcoolisé un peu trop (comme souvent) il entend les voix des MC’s qui l’ont précédé, connus ou inconnus.

L’orage gronde depuis une heure, lorsqu’un léger filet de vent passe entre les tours des projects du Queens. Il ne chassera pas les nuages, mais il permet de souffler un peu et espérer que les nuages crèveront et qu’une rafraichissante pluie tombera. Cette brise c’est « Never goodbye » qui clôture l’album sur un vibrant hommage à son ami KL, décédé il y a peu, le beat devient lent, pesant mais pas étouffant, la mélodie douce, le flow posé, l’émotion palpable, la réussite complète. Le disque s’arrête. Une goutte sur la main. La pluie ? Non, l’orage revient : on a de nouveau appuyé sur ‘play’.




(p)&(c) Achim Shark 2009
Blaq Poet
DJ Premier
Year Round records


Commentaires

  1. Je kiffe cet album ^^ mais je suis sûr qu'il dit "I'm sick on any beat"

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  2. Et tu as sûrement raison ! D'ailleurs je vais changer parce que j'ai confiance et ça a bien plus de sens. En plus.

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  3. Concernant l'histoire de 86, c'est pas une attaque contre BK mais contre le Bronx d'ou vient KRS etc

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  4. Mais claire très bon album et très bon article
    BP motherfuka

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  5. Je ne sais pourquoi, j'était persuadé que KRS One était de Brooklyn mais tu as effectivement raison, l'erreur est donc corrigé. Doublement merci Anonyme !

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  6. Par ailleurs tu t'es trompé sur la phrase que tu prends de "Hood Crazy" ; le hook c'est : "The hood is crazy, straight like that, got the cops running around with yellow tapes like rats".

    Les "Yellow Tapes" c'est les bandes jaunes que les flics mettent sur les scènes de crime!

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  7. Grâce à votre aide, bientôt on croira que j'ai compris quelque chose à ce qu'il dit ! Merci M. Anonyme en tous cas, ça sert la culture.

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