Croassement au-dessus d'un nid de coucou

Il était une fois un crapaud qui rêvait d'être un prince. Il ne cessait de répéter à qui voulait l'entendre (ou pas d'ailleurs) qu'une sorcière lui avait jeté un sort, le transformant en un vil crapaud tel qu'on le voyait. A vrai dire, personne dans la communauté crapaude ne savait vraiment s'il fabulait ou disait la vérité et je pense que lui-même aurait été bien en peine de répondre.

Comme tout crapaud dans sa situation il espérait le baiser d'une princesse qui le sortirait de sa fâcheuse situation. Pour cela il avait élu domicile dans un marais proche d'un palais où une vivait une princesse dotée d'une rare beauté. Chaque jour, il la voyait se promener avec ses suivantes aux abords de la mare riant tout fort de toutes sortes de futilités. Il se dressait alors, se gonflait du plus qu'il pouvait et criait son désespoir à la demoiselle couronnée qui hantait ses rêves dans une mélopée tragique à la beauté sauvage. Malheureusement, lorsque ses cris parvenaient aux oreilles de la princesse et ses dames de compagnie ce n'étaient que les croassements disgracieux d'un crapaud qui l'était encore plus. Toutes lui jetaient alors des pierres jusqu'à ce que, le coeur brisé, il ai fui, laissant là pantelants ses rêves et ses chants. Il se promettait alors de partir à la recherche d'une princesse plus charitable mais il ne pouvait se décider. Il en venait toujours à blâmer son apparence misérable, ou à démontrer à son coeur par un raisonnement retors que la princesse était bonne et généreuse, seules ses suivantes étaient méchantes et blessantes par leurs cris injurieux et leurs pierres acérées. Ainsi, chaque matin il se remettait à guetter le passage de la dame de ses rêves.

Un jour qu'il guettait ainsi il vit la princesse s'approcher seule de la mare afin d'y prendre le soleil. Il se glissa alors s'en bruit et se retrouva à ses pieds. Là, il croassa doucement afin d'attirer son attention sans l'effrayer. Las ! A peine l'eut-elle vu qu'elle eut un mouvement de recul. Mais, étonnée par ce batracien qui ne bougeait pas d'un pouce elle s'avança pour l'observer. "Et bien, tu es bien drôle toi ! lui dit-elle en riant, on dirait que tu attends quelque chose ! Cela me fait penser à ces contes idiots qu'aimait à raconter ma nourrice, pleins de princes transformés en crapaud, en loups ou en je ne sais quoi..." Au souvenir de ces histoires enfantines elle se mit à glousser de plus belle tandis que, plein d'un espoir naïf, le coeur du crapaud explosait de joie et d'espoir. La jeune fille, toujours dans son rire dit "Ah, oui, tu ferais un bien étrange prince, crapaud difforme ! Mais... Ah, je crois avoir trouvé ta princesse" dit-elle en éclatant de rire. Elle attrapa alors le crapaud et le cacha dans son mouchoir puis revint, courant et riant vers le palais y retrouver ses suivantes.

Au palais vivait une orpheline bossue, difforme et muette qui servait d'amusement à la princesse et sa compagnie. Celles-ci aimaient à l'humilier, la frapper et lui imposer toutes sortes de lourdes tâches tandis que la malheureuse, prostrée dans son mutisme obéissait humblement à sa maîtresse. Ce jour-là, la princesse revint de sa promenade et parla et ria à mi-voix avec ses suivantes avant de s'avancer vers elle.

"Ma pauvre fille, dit-elle, tu as été obéissante à moi, ta maîtresse, jusqu'à aujourd'hui et, dans ma grande bonté, dont tu peux voir chaque jour les bienfaits, j'ai songé à ton avenir et t'ai trouvé un mari digne de toi ! Mes suivantes et moi trouvons que vous allez parfaitement ensemble, alors ne soit pas timide : le voilà, embrasse-le !" Disant cela elle présenta à sa malheureuse servante le crapaud qu'elle avait trouvé près de la mare.

Coincé dans le mouchoir de sa belle, le crapaud n'arrivait pas à croire sa bonne fortune tout le long du trajet jusqu'au palais. Aveuglé par le tissu, il imaginait la princesse se faisant belle pour embrasser et rencontrer son prince charmant. Son coeur battait à tout rompre, ce n'est pas tous les jours que vos rêves se réalisent ! Soudain, le mouchoir se souleva et alors qu'il s'attendait à voir une princesse rayonnante de beauté dans ses plus beaux atours il se retrouva nez à nez - presque lèvres à lèvres - avec la plus laide des créatures vêtue de quelques hardes en lambeaux. Pris de panique il pensa à s'enfuir mais il croisa ses yeux. Dans ses yeux il lut une tristesse ineffable doublé d'un véritable intérêt pour lui, prince crapaud que tous, humains comme batraciens, rejetaient et méprisaient. Il se laissa alors embrasser.

L'orpheline muette et difforme se métamorphosa alors en la plus belle des demoiselles que l'oeil n’ai jamais pu observer. Il y avait de cela plusieurs années, jalouse de ses charmes une sorcière avait ensorcelé cette princesse (car s'en était une) en cet être infâme méprisé par tous. Seul le baiser de quelqu'un ayant compassion envers elle pouvait la sortir de son état, ce même baiser que lui donna ce crapaud. Ce dernier justement ne se métamorphosa point et ce pour la simple raison qu'il n'avait jamais été autre chose qu'un crapaud et que ses rêves de prince n'étaient que chimères.

Paisible et sans haine, la princesse posa les yeux sur son ancienne maîtresse et ses suivantes estomaquées et dit simplement "Je vais rentrer chez moi maintenant." Elle prit le crapaud dans sa main et partit en son pays. A son arrivée, la longue angoisse du roi et de la reine furent finis et le royaume entier fut en liesse pour fêter le retour de la belle princesse aimée par tous. Lorsqu'elle eut fait part de son récit, sa fée de marraine se mit en colère et transforma la méchante princesse et ses suivantes en crapauds, état dont elles ne revinrent jamais. Ceci fait, elle métamorphosa le crapaud rêveur en un valeureux prince. Le roi et la reine eurent ainsi très vite la joie de marier leur fille avec cet ancien batracien. Ils vécurent heureux, et bien que l'état civil ne fût pas très bien tenu à l'époque, il n'y a aucune raison de penser qu'ils n'aient pas eu beaucoup d'enfants.




(p)&(c) Achim Shark 2010
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