Promesse au crépuscule

    Sur la Judée tombe la nuit, paisible et sans nuage. Le sommeil règne sans partage sur la ville. Sans partage ? Pas tout à fait. Si on prend à droite au premier figuier, troisième à gauche, on se retrouve face à une maison où la lampe brûle encore. C’est là qu’habite le vieux Siméon, le doyen de Jérusalem. Ce soir il ne trouve pas le sommeil, se tourne et se retourne dans sa couche. Aucun cauchemar ou triste augure ne le trouble, au contraire il s'est rarement senti mieux, plus joyeux. Dans ses veines bouillonne l'énergie de ses 20 ans (et même pour lui, ses 20 ans relèvent de l’archéologie !). Il pose la main sur son cœur, le sent battre comme jamais, déborder de joie, de charité, de gratitude. Siméon aimerait bien savoir ce qui lui arrive ! Il a le sentiment confus que cette nuit est unique, que c’est une nuit de fête, une nuit d’exception, mais pourquoi donc ? N'en tenant plus, il monte sur le toit de sa maison, emplit ses poumons d'air, s’abime dans la contemplation des astres, rêve devant cette nouvelle étoile qui semble briller comme jamais. Sous son éclat, il sent grandir la chaleur dans son sein, une grande paix l’envahit. Un feu inextinguible parcourt tout son corps.
    Il a déjà ressenti un sentiment similaire, quelques années plus tôt. Le souvenir en est encore clair, ce fut probablement le plus beau moment de sa longue vie, le plus sacré certainement… Une journée qui n'avait pourtant pas très bien commencée. Il allait à la synagogue, l'esprit distrait, méditant déjà à ce qu'il étudierait, lorsqu’à l’angle du chemin, il se trouva face à un serpent sifflant. Pétrifié de terreur, Siméon se figea face au reptile menaçant. Heureusement pour lui, des enfants qui jouaient près de là vinrent au secours de ce papy en danger et firent fuir l'animal.

    Secoué, Siméon arriva malgré tout à destination, sans trop savoir comment. Encore ébranlé, il prit son rouleau d'Ecritures, lisant distraitement le récit du peuple d'Israël dans le désert, près de la montagne de Hor. Son attention s’éveilla lorsque les Hébreux furent attaqués par des serpents brûlants. Une fois de plus, le peuple se plaignait et murmurait contre l’Eternel (une manie !), celui-ci envoya des serpents brûlants les mordre, et beaucoup en moururent. Siméon connaissait déjà cette histoire mais, sa rencontre avec le reptile, elle prit soudain une réalité nouvelle. Il se sentit proche du peuple en exode, perdu, effrayé mais repentant, allant supplier Moïse de les sortir une nouvelle fois de ce mauvais pas. Celui-ci alla prier le Seigneur qui lui commanda de faire un serpent en airain et de l'accrocher à une perche. Tous ceux qui levèrent les yeux vers ce serpent d'airain furent guéris.
    A cette lecture, Siméon pleura, réalisant que le peuple d'Israël du jour n'était pas bien différent de celui de l'époque. Lui aussi était perdu, effrayé, égaré dans son orgueil. Quand donc viendrait le prophète promis par Moïse ? Ce Messie qui les guiderait ? Vers qui ils pourraient lever les yeux pour être sauvés eux aussi ? Il pria alors de toute l'énergie de son âme pour que Celui que les prophètes annonçaient depuis si longtemps vienne rapidement guider et racheter son peuple.

    Comme il priait, l'Esprit de l'Eternel l’enveloppa et il fut transporté en vision dans un pays étranger. Il y vit un homme à la peau sombre, habillé étrangement, qui se dirigeait vers une ville, la plus grande qu'il n'ait jamais vue. L'éclat des yeux de l’inconnu trahissait une foi et une détermination sans faille. L'homme s'engagea vers l'entrée de la ville mais trouva porte close. Loin de se démonter, il grimpa les hautes murailles, leva les bras et se mis à prêcher d'une voix de tonnerre aux citadins en contrebas.
    Des sermons, Siméon en avait entendu dans sa vie ! Mais comme celui-là, jamais ! Chaque mot de l’envoyé de Dieu (car s’en était un !) se gravait en lettres de feu dans le cœur de Siméon. L'homme appela sans ambages le peuple au repentir ; il n'eut comme réponse qu'une volée de flèches. Cela ne l'arrêta pas, bien au contraire, il continua, parlant avec la puissance de Dieu, et prophétisa : « Voici, je vous donne un signe : il y aura encore 5 années, et voici, alors le Fils de Dieu viendra racheter tous ceux qui croiront en son nom. Et il arrivera que quiconque croira au Fils de Dieu aura la vie éternelle ». A ces mots, Siméon, sentit son âme déborder de joie. La vision s'effaça et il entendit au fond de lui un murmure léger, bien que clair et puissant lui faisant la plus belle des promesses : « Siméon, tu ne mourras pas avant d'avoir vu le Christ du Seigneur ! ».

    C'était la première fois qu'il entendait cette voix mais il la reconnut immédiatement. Trois ou quatre ans plus tard, alors qu’il voyageait en Galilée pour visiter son cousin Elie, il l’entendit une seconde fois. Il se reposait à l'ombre du puits du village quand une jeune fille vint remplir sa cruche. Quand il la vit, il entendit cette même voix, celle de l'Esprit, citant le prophète Esaïe « Le Seigneur lui-même vous donnera un signe : voici, la jeune fille deviendra enceinte, elle enfantera un fils, et elle lui donnera le nom d'Emmanuel ». Le temps que Siméon reprenne ses esprits, la jeune fille avait disparu. Depuis, il pensait souvent à cette expérience, se demandant ce qu'elle pouvait bien signifier.

    Plongé dans ses souvenirs, Siméon ne voit pas le temps passer et le jour le trouve méditant encore sur son toit. Un appel le sort brusquement de ses pensées. C'est son voisin David, le marchand, qui l’apostrophe depuis la rue à son retour du marché de Bethléhem. Siméon l'invite à entrer et très vite les deux amis sont en grande discussion, David racontant ses aventures avec sa verve habituelle : « Mon ami, il m’est arrivé de ces choses ! Il faut que je te raconte ! Les fous ont envahi nos campagnes ! Attends, je commence du début : comme tu le sais, j'étais à Bethléem toute la semaine, et j'ai fait des affaires in-cro-yables ! Avec le recensement des Romains, la ville est pleine et les affaires juteuses ! Bref, j’ai tout vendu en deux-deux et ce matin je suis parti au point du jour, à la fraîche. J’étais en train de marcher en comptant mes gains quand je suis tombé sur les bergers les plus bizarres que j'ai jamais vu ! On a l'habitude avec eux, on sait qu’ils n’ont pas peur de lever le coude pour se tenir chaud (et à Bethléhem pour faire glouglou c'est pas les derniers !) mais là c'était un tout autre niveau ! Voilà-t-y pas que les types, y me disent que dans la nuit, des anges sont venus leur dire qu'un roi est né ! Pas n’importe quel roi, le Messie lui-même ! Et même pas né dans un palais ou quoi ! Dans une étable ! Qu'est-ce qu'il faut pas entendre ! Et ils voulaient que j'aille avec eux pour l'adorer !

- Pourquoi les accuses-tu d'être saouls ? Pourquoi le Messie ne se manifesterait pas dans une étable, parmi les humbles de la terre ? Esaïe lui-même a annoncé que le Messie viendrait sans éclat, ni beauté pour attirer notre regard.

Refroidi par le ton sérieux de son ami, David reprend :

- Bon d’accord, j'admets qu'ils semblaient plus exaltés que saouls... Et même pour être complétement honnête, ils racontaient leur histoire avec une telle intensité que je me suis senti presque prêt à le suivre ! Mais je suis quelqu’un de sérieux moi ! Les gens me connaissent, je fais des affaires, mon nom est respecté, je ne peux pas suivre les premiers illuminés venus ! Et de toutes façons, quand on y réfléchit à tête reposée on voit bien que c'est n'importe quoi ! Des contes à dormir debout !

- Mon jeune ami, je te trouve bien véhément pour une chose que tu trouves si futile, sourit Siméon. Raconte-moi donc ce qu'ils t'ont dit, ça m'intéresse.

- Si tu y tiens... Je n'ai pas tout retenu mais en gros ils étaient en train de veiller leurs troupeaux quand un ange leur est apparu dans une gloire incroyable, ils ont commencé par avoir peur mais l'ange les a rassurés et leur a dit « Ne craignez point ! Je vous annonce une bonne nouvelle qui sera pour tous le sujet d'une grande joie : aujourd'hui, dans la ville de David, il vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur. » Il leur a alors expliqué qu'ils le trouveraient dans une crèche ou une étable et à ce moment-là une multitude d'anges s’est jointe au premier, louant Dieu et disant "Gloire à Dieu dans les lieux très hauts, et paix sur la terre parmi les hommes qu'il agrée !" »
    A ces mots, Siméon frémit. Fébrile, il pousse son ami à continuer : « Et ?

- Et quoi ?

- Que s'est-il passé ensuite ? Ont-ils trouvé le roi ?

- Siméon, tu ne vas pas me dire que tu crois à ces histoires de paysans ! Pas toi ! Je ne sais pas ce qu’ils ont trouvé, ils n’étaient pas encore arrivés à Bethléhem. A mon avis, s’ils ne font pas attention ils vont surtout trouver des coups sur la tête ! Je ne pense pas qu’Hérode ou les Romains apprécient beaucoup leurs histoires ! »

    David continue son babil, mais sa voix est recouverts par les battements du cœur de Siméon. Se pourrait-il que le moment soit venu ? La promesse se réalise-t-elle ? Il n'ose y croire. Ce serait trop beau ! Hélas, il est bien trop vieux pour tenter un voyage vers Bethléem et voir par lui-même. Il passe les semaines suivantes en jeûne, répand son cœur en prière, demande au Seigneur une réponse à ces énigmes.

    Un matin, il se sent poussé à aller au Temple. Comme il se prépare pour le rite, il remarque un jeune couple formant un tableau charmant. Le visage de l’homme exprime douceur et bonté en contraste avec sa solide carrure de travailleur. Elle, très belle, est l'image même de la sérénité. Où a-t-il déjà vu ce visage ? Mais oui ! C'est la jeune fille du puits de Nazareth ! Que porte-t-elle dans ses bras ? Un petit paquet qui remue, une bouille de bébé en sort. Les larmes montent aux yeux du vieillard, son cœur éclate de gratitude. Au soir de sa vie, son dieu ne l’oublie pas et accomplit toutes ses promesses. Siméon s'approche de la jeune famille, prend délicatement son Roi et Sauveur dans ses bras, bénit Dieu et dit : « Maintenant, Seigneur, tu laisses ton serviteur s'en aller en paix, selon ta parole. Car mes yeux ont vu ton salut, salut que tu as préparé devant tous les peuples, lumière pour éclairer les nations. »
-Achim Shark

librement inspiré de Luc 2:25-32, Nombres 24:4-9, Hélaman 13-15 et Luc 2:8-20

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